Ses doigts pincèrent le parchemin, tentés une fois de plus de le déchirer, agacée par l’irrespect qui pointait en les mots d’Eitil. Le Baron était homme agaçant, dont l’outrecuidance et l’insolence avaient hélas portées leurs fruits. Il avait pourtant facilité son travail, Sibille en était certaine – affaiblissant un peu plus le pouvoir de Kreivis en le privant des Seascannes. Mais désormais, le trône était sien, et il fallait qu’elle étende encore la foi de Mageia, qu’elle fasse taire les dissidents, qu’elle les écrase. Elle relâcha le morceau de parchemin.

Derrière elle, elle entendit les bruissements de ses draps et tourna à peine la tête. Ses yeux de glace captèrent le visage d’Alessandre, sereinement endormi. Un semblant de sourire coula sur ses lèvres, et elle détourna le regard pour relire encore la missive. Son sourire se fit amer, tordit ses lippes dans un relent d’une fierté qu’elle ne pouvait enfouir.
Elle était Reine désormais.

Sibille s’empara d’un parchemin vierge. Trempant sa plume dans l’encrier, elle porta sa main au-dessus du papyrus et attendit que lui viennent les mots de sa déesse – ceux qui savaient convaincre les cœurs les plus purs comme les plus noirs. La glace de ses yeux se heurtèrent un instant à la flamme de la seule chandelle qui éclairait le bureau. Elle regarda la cire qui coulait lentement, fondant au fil des secondes – c’est ce qu’il adviendrait des Seascannes si elle ne réagissait pas, emportant avec ce ravage le Baron.
Son sourire s’apaisa, son regard se fit sûr, et elle posa enfin la plume sur le parchemin. Il était temps que ses vassaux apprennent à rester à leur place de vassaux.


« A Eitil,
Dit « Baron des Seascannes »,
Dit « Chevaucheur de Sang »,
Dit « Scriosta Coróin »,

Eitil,

Voilà une bien étonnante surprise que de recevoir une missive de votre part, vous, suzerain autoproclamé des Seascannes. Hélas, il me semble que cette terre appartient au Royaume de Nokrov et se trouve donc, je le crains, sous ma suzeraineté. Peut-être avez-vous été proclamé et reconnu Élu d’un dieu dont j’ignore l’existence ? Je serais ravie d’en être informée.

Si cela peut vous rassurer quant à mon pouvoir, il n’est nulle magie suffisante pour éloigner Mageia, et il n’est rien que mes Sangéravs ne puissent franchir, sachez-le.

Les fils de Talen sont des moutons. Ils suivront leur seigneur légitime, Alessandre, sans rechigner. Les vatners se détourneront de leurs monstres de légende pour me suivre, et il en sera de même pour les hommes du Nord et des Ramales. Et ceux qui oseront s’opposer à moi seront livrés en pâture à Mageia. Puissent-ils tous sombrer dans le Tréfond, là où les nuits sont faites du sang des impurs, tandis que mes gens rejoindront le royaume béni de la Rouge.
J’espère donc des Seascannes une véritable allégeance, et j’imagine que vous comprenez cette attente.

Les dragons vous inquiéteraient-ils, Eitil ? Il est vrai que vous ne comptez pas parmi vos rangs des Sangéravs au sang pur et à la magie sanglante. Les dragons ne sont rien face à mes créatures, et leur allégeance est changeante – peut-être même pourrais-je les rallier à ma cause et les retourner contre les terres que vous gardez jalousement ?

Vous souhaitez donc que nous nous allions en un pacte que ni le sang ni l’argent ne saurait rompre. Soit, mais je dois avant cela m’assurer de votre future loyauté et fidélité envers Mageia. C’est pour cela que je vous invite à la Cour, Eitil, afin d’assister au mariage royal qui se tiendra bientôt, unissant Mageia aux griffons.
Ceci fait, nul ne saurait mettre fin au règne de la Carmine.

J’espère que vous saurez faire le bon choix et que vos décisions seront justes et en adéquation avec ce que j’espère pour l’avenir de Nokrov. La balle est dans votre camp, désormais.

Mageia est guide, Mageia est foi.

Sa Majesté Sibille Asinis,
Dame de la Maison Asinis,
Reine du Royaume de Nokrov
et des Peuples Nokrovins,
Carmine de la Reine-Sang,
Élue de Mageia. »